Pour sa 30e édition, le Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre s’apprête à accueillir l’un des plus grands noms du photojournalisme : le britannique Don (Donald) McCullin a répondu favorablement à l’invitation et accepté d’endosser le costume de Président du jury international. L’homme, célèbre pour ses clichés en noir et blanc, compte profiter de son passage à Bayeux pour discuter avec ses confrères et consœurs de sa vision du métier et de l’avenir des médias d’information.
© Reg Stewart (courtesy Contact Press Images)
Depuis 1959 et la publication de sa première photo dans le journal britannique The Observer, Don McCullin n’a cessé de photographier la guerre et plus largement la condition des miséreux, des indigents, des victimes. La noirceur de ses clichés n’a d’égale que l’humanité de son geste. « J’ai toujours dirigé l’objectif de mon appareil vers celles et ceux qui étaient sans défense face à leur condition, leur société. Je devais parler pour eux. » Parler pour eux. C’est à travers ses photos qu’il le fera pendant plus d’un demi-siècle. Dans les quartiers pauvres de Londres ou sur les terrains de conflit les plus éloignés, il capte une situation, un regard, une expression. « Une histoire transparait toujours dans le regard d’une victime. » Il ressent la misère, la comprend et la révèle, parce qu’il l’a connue. « Quand j’ai commencé à photographier la guerre, la violence m’était déjà familière. Ma vie a commencé dans un quartier de Londres où régnaient la pauvreté, le racisme, la violence et la criminalité. À l’âge de 14 ans, au décès de mon père, j’ai dû arrêter l’école. Je n’avais pas d’avenir et aucun diplôme. Mais j’ai forgé mon esprit et choisi d’emprunter une autre voie que celle de la criminalité. » Ce ne sont donc pas les diplômes mais bien son histoire personnelle et sa sensibilité qui feront de lui un photographe hors pair. « J’ai toujours eu un profond sentiment d’humanité. »
« Quand j’ai commencé à photographier la guerre, la violence m’était déjà familière »
C’est à l’issue de son service militaire au sein de la Royal Air Force – durant lequel il découvre à la fois le voyage et la photographie – que la vie de Don McCullin va amorcer son premier virage. De retour à Londres, armé d’un appareil photo, il immortalise ses amis d’enfance, le gang des Guvnors. Le journal The Observer publie un de ses clichés pour illustrer un fait divers : c’est le début de sa carrière. Très rapidement, il décroche les plus grandes distinctions pour ses photographies d’actualité. En 1961, son reportage sur l’édification du Mur de Berlin est salué par un British Press Award ; en 1964, sa couverture de la guerre civile à Chypre est distinguée par le prestigieux World Press Photo. En 1966, il signe un contrat d’exclusivité avec le magazine du Sunday Times, à qui il restera fidèle jusqu’en 1984. Durant cette période, il couvre tous les conflits : Vietnam, Cambodge, Congo, Israël, Biafra, Irlande du Nord, Bangladesh, Liban, Tchad, Salvador, Iran, Ouganda… Il documente également les famines du Bihar (Inde) et du Biafra (Nigeria). Ses incursions au cœur des points chauds de la planète ne sont pas sans conséquences : tympan perforé, blessures par balle, fractures mais également emprisonnement, expulsion et menaces… Le photographe le reconnaît : « j’ai payé douloureusement, de diverses manières, et je suis chanceux d’être en vie. Mais je ne pouvais pas m’arrêter ; j’aurais pu, mais il y a une forme d’addiction. Durant toutes ces années où j’ai photographié la guerre, je voulais me rendre utile à la société, je voulais expliquer ce qu’il se passait ailleurs. Ce que je faisais n’avait rien de personnel : j’essayais de montrer aux gens la futilité de la guerre. »
« J’ai voulu montrer aux gens la futilité de la guerre »
En parallèle de ses reportages à l’étranger, Don McCullin continue de capturer la misère qui frappe son pays : les enfants pauvres de Bradford, les miséreux de Londres, la classe ouvrière des villes industrielles d’Angleterre… « J’ai vu la pauvreté dans mon pays ; deux millions d’Anglais vivent comme des chiens. Les gens n’ont pas conscience de ça. » Ses clichés de l’Angleterre des années 70 trouvent leur place dans deux ouvrages : Homecoming en 1979 et Hearts of Darkness en 1980. Le second – rétrospective de sa première partie de carrière – fera l’objet d’une exposition au prestigieux Victoria & Albert Museum de Londres l’année de sa sortie, puis à New York l’année suivante. Le début d’une longue série d’expositions à travers le monde. La décennie qui suit marque un tournant dans la carrière de Don McCullin ; s’il continue de couvrir la guerre et ses conséquences sur les populations, le quinquagénaire animé jusqu’ici par l’humain va se prendre de passion pour les paysages. Plus qu’une passion, c’est une véritable thérapie qui commence. « Quand vous passez autant d’années à photographier la guerre comme je l’ai fait, vous ne pouvez pas chasser les images de votre mémoire : il n’existe aucun traitement. Photographier les paysages m’a aidé : j’avais besoin de faire quelque chose de différent. Au lieu d’aller chez un psychiatre, je me suis soigné seul, à l’aide de mon appareil photo. Désormais, la moitié de ma mémoire, c’est la guerre, l’autre, c’est la paix. » Après avoir immortalisé ce qu’il y a de pire dans le monde, Don McCullin capture donc le beau. « Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme d’un reporter de guerre, qu’on limite le travail d’une vie à ce seul aspect : j’ai aussi photographié de belles choses. Des fleurs, des paysages, des minorités ethniques… J’ai parcouru le monde et photographié énormément de sujets autres que la guerre. » À travers le monde, oui, mais aussi et surtout à deux pas de chez lui, dans la campagne anglaise du Somerset.
« Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme d’un reporter de guerre : j’ai aussi photographié de belles choses »
Si aujourd’hui sa condition physique ne lui permet plus « d’enjamber les haies, de traverser les champs et de parcourir le monde, » Don McCullin poursuit son œuvre à travers ses livres. Après sa célèbre autobiographie publiée en 1990 (Unreasonable Behaviour, sortie en France sous le titre Risques et périls) et de nombreux ouvrages, il publiera en juin 2023 un recueil dédié à l’héritage romain en Turquie. S’en suivra une exposition à Rome dès le mois d’octobre. Un automne chargé s’annonce ainsi pour le photographe prolifique. Les 13 et 14 octobre, il présidera le jury professionnel du 30e Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre. Il y retrouvera avec plaisir ses nombreux confrères. « J’ai toujours été heureux lorsque j’étais entouré de journalistes et photoreporters : ce sont mes semblables, ils font partie de ma vie. Ce sera pour moi l’occasion d’avoir leur avis sur la couverture des conflits aujourd’hui, le métier de photojournaliste à l’heure du tout numérique et des réseaux sociaux. Je m’interroge beaucoup sur l’avenir des médias ; ces échanges promettent d’être très intéressants. » Pour celui qui a également perdu de nombreux amis au fil des décennies, et notamment le Français Gilles Caron (disparu au Cambodge en 1970), l’hommage rendu à Bayeux sera un moment fort. « Nous ne devons pas oublier tous ceux qui sont morts pour informer, se sont sacrifiés pour faire éclater la vérité aux yeux du monde. Les jeunes journalistes doivent avoir conscience qu’eux seuls peuvent préserver leur vie. Eux seuls peuvent préserver l’industrie des médias et de l’information. Je viendrai à Bayeux pour différentes raisons mais je veux avant tout utiliser ma voix, mon influence pour dire Nous devons garder les yeux ouverts. »
« Photography for me is not looking, it’s feeling. If you can’t feel what you’re looking at, then you’re never going to get others to feel anything when they look at your pictures » (donmccullin.com)
1935 – Naissance de Donald McCullin à Londres
1961 – British Press Award pour son reportage sur l’édification du Mur de Berlin
1964 – World Press Photo pour sa couverture de la guerre civile à Chypre
1971 – Publication de son premier recueil de photos The Destruction Business
1979 – Publication de Homecoming
1980 – Publication de l’album Hearts of Darkness
1992 et 1993 – Prix Erich-Salomon Parution du Photo Poche n° 53
1993 – Devient le premier photojournaliste commandeur de l’Ordre de l’Empire britannique
1995 – Ses archives sont représentées et distribuées par Contact Press Images
2001 – Publication de Don McCullin, grand ouvrage rétrospectif
2005 – Expose au Prix Bayeux
2006 – Prix Cornell-Capa (Cornell Capa Infinity Award) de l’International Center of Photography (ICP), New York
2007 – Publication d’In England
2007 – Distinctions par la Royal Photographic Society : FRPS honoraire et Centenary medal pour sa contribution à l’art photographique
2009 – Publication de l’album Reporters sans frontières n°30
2010 – Publication de Southern Frontiers, A Journey Across the Roman Empire sur les ruines de l’empire romain
2013 – Visa d’or d’honneur du Figaro Magazine
2016 – Lucie Award du photojournalisme
2017 – Anobli par la Reine pour services rendus à la photographie. Le Prince Charles préside la cérémonie.
2019 – Large rétrospective à la Tate Britain de Londres
2020 – Lifetime Achievement Award de l’ICP
2023 – Président du 30e Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre